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Du sang. Cette couleur rougeâtre. Ce liquide chaud qui le narguait en prenant soin de s’étaler le plus possible dans les ruelles, formant de belles, et pourtant sinistres, roses rouges. Il était ironique de penser que des roses rouges pouvaient signifier autant la douleur que l’amour. Néanmoins, dans ces ruelles de l’horreur, tous les paradoxes étaient permis. Les lois qui régissaient ce monde en installant un semblant d’ordre n’existaient pas pour ce petit bout de territoire.
Ici, chacun faisait ce qu’il voulait quand bon lui semblait. Un seul ordre : le plus fort gagne. Les êtres trop faibles, que ce soit psychologiquement ou physiquement, n’avaient pas leur place en ces lieux. C’était la terreur, la haine et la violence qui dictaient les actes et les paroles. Pas de place pour la confiance ou l’amitié. Tuer ou être tué, à vous de choisir, mais ne vous attendez pas à recevoir de la compassion de la part des habitants de ce quartier qui sortait du lot, ce n’était pas un quartier où il faisait bon de tisser un lien avec son voisin.
Les rues étaient sales, il fallait dire que personne n’osait les nettoyer, et que ceux qui avaient le courage ou la bêtise de se montrer dans les rues avaient bien d’autres choses à penser que de frotter la crasse qui s’était accumulée sur les murs au fil des années.
Ces rues suintaient tant la crasse qu’il n’aurait pas été surprenant de croiser de temps en temps une enveloppe charnelle vidée de son sang, œuvre d’art d’un quelconque tueur qui était passé par là et, ayant eu une soif pressante de mort, aurait laissé son « repas » tel quel reposer sur les pavés froids. On aurait également pu imaginer croiser des cadavres que quelques plaisantins se seraient amusés à positionner de façon grotesque, espérant peut-être faire rire un ou deux passants…
L’angoisse de tous les habitants aurait alors été la rencontre avec un corps tué de sang-froid qu’on aurait auparavant torturé par pur plaisir. Les ongles arrachés, les boyaux répandus lamentablement au sol, la tête enfoncée dans le ventre, auparavant vidé de ses organes. Tous les moyens auraient été bons pour déclencher les cris et les hurlements, le responsable de ce meurtre aurait ainsi atteint le summum de l’extase.
Mais, même si les règles étaient souvent transgressées, laisser un corps à la vue de tous relevait plus de l’idiotie que d’une réelle envie d’épater la galerie. C’était bien pour ça que le jeune Kaede avait accepté de vivre ici. La rencontre avec un macchabée n’aurait fait qu’attiser la folie de ce jeune garçon, graine malsaine attendant sagement son tour, enracinée dans son esprit et prête à surgir dès que la raison lui en laisserait l’occasion.
Pour l’heure, les priorités de notre héro étaient ailleurs. Pour survivre, son corps avait besoin de nourriture, et lorsque le peu d’argent que l’on possède disparaît définitivement, la seule solution reste de voler.
Courir. Vite. Plus vite encore. Puiser dans ses dernières ressources pour échapper à ceux qui le traquaient. Un morceau de pain avait déclencher une polémique telle qu’il risquait de se faire tuer s’il cédait ne serait-ce qu’une seconde pour reprendre son souffle. Il ne pouvait pas se permettre le moindre faux pas et ses yeux scrutaient avec attention le sol pour ne pas trébucher malencontreusement sur une pierre ou un autre accro dans les pavés froids qui auraient pu mettre en péril son audacieux projet de fuite.
Cours ! Ses jambes n’étaient mues que par son instinct qui lui dictait la démarche à adopter. Derrière lui, il entendait les pas de ses poursuivants se répercutant sur les dalles, toujours plus proches, toujours plus menaçants. S’il avait toujours su que son destin était de mourir un jour, il n’aurait jamais imaginé que ce soit dans des conditions aussi déplorables, aussi honteuses pour sa pauvre personne. Au moins avait-il espéré mourir dignement.
Le malheur se produisit avant même qu’il ne puisse l’anticiper. La pierre était là, juste sous son nez, mais la peur avait aveuglé son regard et désordonné ses sens. Il se retrouva étalé sur le sol avant même de comprendre ce qui avait pu lui arriver et c’est avec une angoisse qu’il ne cachait désormais plus qu’il attendit que ses poursuivants s’emparent de lui.
Une main le souleva vivement.
« Dépêche-toi ! »Entendit-il avant de se retrouver entraîner dans de nouvelles ruelles et qu’il ne comprenne que la personne qui venait de le saisir ne lui voulait rien de mal.
La course reprit et ne s’arrêta que lorsqu’il s’effondra sur le sol, épuisé.
« Debout ! »Ses jambes ne répondirent pas à cette interjection qui, pourtant, sonnait comme un ordre. Chaque parcelle de son corps le faisait souffrir et il secoua la tête, renonçant à poursuivre cette lutte qu’il savait perdue d’avance. Tant pis. Au moins n’aurait-il pas de regrets. Il avait fait ce qu’il pouvait, non ? Ses pensées se tournèrent pendant un instant vers Hikaru avant qu’il ne secoue la tête et ne s’abandonne aux pavés froids qui ne le réconfortèrent pas.
A nouveau, les mains se saisirent de lui et il se retrouva sur le dos de l’homme qui l’avait secouru. Des cheveux rouges s’agitaient devant lui et, bien qu’il ne distingue pas le visage de celui qui venait de l’aider, il accepta de faire confiance à l’individu. Il noua ses bras autour du cou de son sauveur et ferma les yeux.
« Quel est ton nom ? »
« Phénix. »Oiseau de feu, oiseau d’éternité. Ainsi, le Phénix devint sa nouvelle famille.
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« Kaede ! Plus vite ! »
« J’arrive ! »Cela faisait maintenant plusieurs mois qu’il avait atterri dans le gang, à la stupeur de tous. Un pauvre gamin comme lui, frêle et incapable de se défendre, le Phénix avait d’abord essayé de le placer dans des orphelinats. Les établissements en eux-mêmes lui faisaient horreur et il trouvait toujours le moyen de s’échapper, de fuir ces maisons de l’horreur.
Le mystère de son passé avait vite été éclairci. Un ou deux mensonges et tout le monde avait cessé d’essayer de résoudre l’énigme du petit Kaede. Pour tous, il était un enfant dont les parents avaient tenté de se débarrasser et qui avait été laissé à l’abandon dans une ruelle. Rien de bien dramatique, mais assez triste pour faire pleurer sa nouvelle amie, Rei, qui n’avait pas pu s’empêcher de le prendre dans ses bras et de le serrer jusqu’à l’étouffer.
Rei n’était pas orpheline. Elle était même très loin d’occuper ce statut. Fille d’un des plus hauts fonctionnaires de la ville, ses parents n’étaient jamais à la maison et laissaient leur fille seule. Elle avait débarqué dans le gang en réclamant le droit d’en faire parti et avait mis longtemps avant de se faire accepter. Elle était celle avec qui il restait le plus souvent.
Malgré ses envies de passer tout son temps libre aux côtés du Phénix. Malheureusement, son idole était collée à un autre jeune homme, son bras droit, et il ne le voyait que de temps en temps.
« Tu le vois ? »Il opina. Oui, il voyait ce gros balourd qui grimpait dans sa camionnette, fier du vol qu’il venait de commettre. Dépouiller un voleur de banque était bien plus intéressant que d’avoir affaire à la banque elle-même.
« Accroche-toi ! »Il n’eut que le temps de s’agripper à son siège avant que la voiture ne démarre en trombe à la poursuite du voleur. Le pied sur l’accélérateur et l’autre se tenant loin de la pédale de frein, Rei fonçait, zigzaguait, à travers la ville, ne quittant pas la camionnette noire des yeux. Elle était prête à tout pour obéir et répondre aux ordres, trop heureuse de pouvoir enfin canaliser son énergie et la mettre au service d’une autorité suprême, de quelque chose qui la dépassait.
Enhardie par la vitesse, elle accéléra encore tandis que son compagnon serrait de plus en plus le siège, ses jointures virant peu à peu au blanc. Le véhicule laiteux tourna au coin d’une ruelle dans laquelle Rei s’engagea sans la moindre hésitation malgré les protestations de Kaede.
Rien ne pouvait arrêter son amie lorsqu’elle était lancée et, une fois qu’elle se fut arrêtée, elle lança un sourire au jeune homme tétanisé à côté d’elle. Un coup d’œil espiègle et elle se pencha vers lui pour déposer un léger baiser sur ses lèvres, baiser qui le laissa indifférent.
« Allez, remets-toi vite. On a du boulot. »Il se secoua et s’extirpa de la voiture, non sans avoir effleurer au préalable les cheveux de sa partenaire qui sourit de cette attention. Officiellement, il sortait ensemble aux yeux du gang. Officieusement, leur relation était purement physique et ni l’un ni l’autre n’éprouvait de sentiments assez forts pour déclarer sans hésiter « Je t’aime ». Sur ce point, ils s’étaient entendus. Le plaisir avant tout.
Une main sur l’arme à sa hanche, cachée par son pull, il s’avança lentement dans la ruelle à la recherche du propriétaire de la camionnette. L’action se passa vite. Trop vite. Ses yeux réagirent trop tard et il mit un moment à comprendre ce qu’il se passait. La balle atteignit sa jambe. Il sentit cette dernière plier tandis qu’un deuxième coup retentissait dans le silence. A côté de lui, le corps sans vie de Rei tomba. Il frappa le sol dans un bruit sourd tandis qu’une rose carmin s’agrandissait autour du cadavre de son amie.
Il chercha longtemps l’origine du coup de feu, mais dû bien vite se rendre à l’évidence : sa priorité n’était pas là. Rapidement et ignorant la douleur de sa jambe, il souleva Rei et la plaça à l’arrière de la voiture tandis qu’il s’installait sur le siège avant et démarrait.
« Je vais… Mourir ? »Entendit-il, murmure indistinct.
« Pas question ! »Dans le rétroviseur, il pu apercevoir son pauvre sourire. Elle lui lança un regard triste avant que ses yeux ne se ferment pour toujours.
Le trajet jusqu’à l’endroit où résidait le gang lui parut interminable et c’est le visage froid qu’il entra en tenant dans ses bras ce qu’il restait de son amie. Le Phénix était là, les autres membres aussi. Tous se turent à son entrée et le regardèrent déposer Rei dans un canapé. Il se tourna vers son chef, impassible.
« Elle est morte. »Déclara-t-il à la stupeur générale. Et ce fut fini. Rei était partie à son tour, le laissant seul, toujours prisonnier de son enveloppe charnelle.
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Tout s’était à nouveau brisé. Tout avait disparu dans un seul coup de feu. Son seul faux mouvement avait été de suivre la camionnette. C’était sa seule erreur de calcul, erreur qui lui avait coûté la vie.
Il laissa ses jambes pendre dans le vide, le regard rêveur. Un bras tomba sur ses épaules, le tirant de ses songes.
« Le soleil se couche. »Il leva les yeux vers le Phénix, assis à ses côtés et lui avait parlé. Ses cheveux rouges, ses yeux bleus, il n’avait jamais pu être aussi proche de lui depuis le jour où il l’avait sauvé. Ses traits fins étaient tournés vers lui et il aurait aimé que ce fut en d’autres circonstances… Qu’il se tourne vers lui parce qu’il le désirait et non parce qu’il avait été attiré par sa récente tristesse.
Le soleil se couchait, oui. Au loin, les rayons de la boule de feu frappaient une dernière fois la ville qui perdait de son ardeur en fin de journée. Tout s’engourdissait tandis que les êtres du jour laissaient la place à ceux qui ne vivaient que la nuit. Le « tic-tac » du temps était sans fin, impossible à arrêter.
« Est-il possible de voyager dans le temps ? »
« Il n’a pas été prouvé que c’était possible. »
« Alors c’est impossible. »
« Non, je n’ai pas dit ça. Personne n’ a pu prouver qu’il était possible de voyager dans le temps, mais le contraire est également vrai. Il n’a pas été prouvé que c’était impossible. »Théorie vaseuse reposant sur une philosophie et une vision du monde qu’il était incapable de saisir. Le Phénix était comme l’oiseau qui avait inspiré son surnom, insaisissable, incompréhensible, et pourtant tellement attirant. Avec ses pauvres ailes faites de cire, Kaede désirait ardemment s’approcher de l’oiseau qui le survolait dans le ciel, sachant très bien qu’il brûlerait… La chute serait inévitable… Mais tellement attrayante.
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Phénix. Phénix. Phénix. Seul nom qui parvenait à débrouiller durant quelques instants le chaos permanent qui régnait dans son esprit. Il était son obsession, sa raison de vivre, la seule chose qui le raccrochait encore à cette Terre… Et cet unique soutien avait disparu.
La mort du bras droit avait causé la perte de cette attache. Il était parti, il avait fui… Il n’avait même pas eu le temps de lui dire ce qu’il ressentait. Il était comme son père. Sa fuite avait détruit sa famille. Le gang avait été dissout par celui qui avait essayé de remplacer le Phénix comme chef. Il s’était retrouvé à la rue, ancienne maison qu’il avait pensé quitter pour toujours.
Jusqu’à ce qu’il décide de retrouver le traître dont il retrouva la trace sur une île.
Traître. Imposteur. Lâcheur. Menteur. Scélérat. Infidèle. Trompeur.
« Je viens te chercher. ». :.